dimanche 12 décembre 2010

Fermer la dernière page

Dehors, la neige brille dans le noir sous la lumière orange des réverbères. L'appartement est vide, ou presque. Plus que quelques meubles qu'on laisse ici, deux plantes qui donnent un peu de vie, cinq cartes postales au mur. À 7h, hier matin, les déménageurs ont tout emporté, direction, l'autre côté de l'Atlantique.

Jeudi soir, Nico est parti, déjà. Avec lui, Chipie, en bandoulière, pendant 17h: 17h d'embouteillages, d'attente, de vol, d'attente encore et d'embouteillages encore. Arrivé sans encombre à Paris, il dort en ce moment même, près de la rue des Martyrs. Plein de souvenirs, de rêves, de projets. Il est muni de notre paperasse, prêt à affronter en douceur à coup d'humour l'épeurante administration française dans sa fierté bien souvent mal placée.

Moi, je reste jusqu'au 23 décembre. Onze jours encore. Je vais participer à la distribution de paniers de nourriture de Jeunesse au Soleil aux familles démunies de Montréal, à partir du 18 déc (week-end inclu!).

La nuit, les déneigeuses passent en furie devant chez nous après les tempêtes de neige des derniers jours (20cm!). Nos fenêtres sans rideau du rez-de-chaussée laissent passer leurs lumières tournoyantes et nos vitres trop fines m'envoient leurs bips incessants dans les oreilles, et le sol tremble comme celui d'un immeuble qui s'écroule. Des yeux je cherche Nico et Chipie pour en rire avec eux, mais, ne les trouvant pas, je remonte sur ma tête mon sac de couchage et m'enfonce plus profond dans le canapé. Dormir.

Le jour, je vais à la job, les pieds dans la neige et la tête dans le ciel bleu de l'hiver montréalais. Je regarde les gens, je regarde les rues, je sens les odeurs et je hume les quartiers. Comment fait-on, déjà, pour dire au revoir? Je devrais savoir, pourtant, après avoir dit au revoir à tant de pays, de villes, d'amis...

Hier, balade en voiture à 100km au Nord de la ville de Québec. Presque 9h de voiture dans la journée. 9h à parler. 9h à penser - à dormir, aussi, à défaut de mieux le faire la nuit! Dehors, la ville et puis les champs, les champs et puis les sapins, verts tirant sur le noir, le fleuve, gris, et puis la neige, blanche. Et la lumière. Transparente et étiencelante. Celle de l'hiver. Celle de l'azur. Razante. Tranchante et tendre. Comme le Québec. Comme Jean-Pierre Ferland ou Luc de la Rochelière qui passent sur la sono; comme le Fiori d'hier et la Caracol d'aujourd'hui.

Le long de la route, aussi, des souvenirs de voyage. Mes pieds contre le pare-brise comme cet été dans notre van, Montréal à Québec devient Toronto-Vancouver; aussi plate, aussi droite, aussi longue que la transcanadienne. Aussi intense. Aussi libre. Comme de plonger dans le ciel. Lâcher sa job. Partir sur la route. Suivre son instinct. Écrire un roman. Faire un film en deux mois. Parler à la radio. Travailler pour aider. Aider sans rien en retour. Vouloir plutôt que craindre. Aimer et étreindre sans toujours se restreindre. Changer. Toujours. Tout en restant soi même. Devenir. Soi. Grandir. Se connaître. Seul(e), à deux. Ces trois ans au Québec, c'était ça.

Et à côté de moi, toujours dans cette voiture, un ami. Ces trois ans, c'était ça aussi. Ceux que nos routes ont croisés, ceux qu'on s'est mis à aimer, ceux dont on ne peut plus se passer. Certains Français ou autres expatriés, déracinés, qui, comme nous, savent plus trop où on est. D'autres destabilisés, touchés par l'étranger, mélangé dans leur identité.

La liberté de l'Amérique et la sensibilité du Québec. Il y a trois ans, les marmottes partaient au Canada. Trois ans plus tard, elles reviennent du Québec - de Montréal! De ces gens de partout qui se cherchent et s'acceptent. De ces langues qui se mèlent et de ce français nouveau. D'expressions qu'on comprend, qu'on apprend, qu'on pogne finalement. Et qu'on ne peut plus lâcher, parce qu'elles sont, en soi, des tournures de pensée. "Plate" n'est pas "dommage" et "correc" n'est pas "ok"; "cave" n'est pas "con" et "poche" n'est pas "nul". Et en anglais, "frat" n'est pas "bud" - toute la subtilité est dans l'impossible traduction.

Et sur cette route qui me ramène, pour quelques jours encore, dans mon chez-nous de Montréal, je pense avec tristesse que le roman touche à sa fin. Que je vais, dans quelques jours, en tourner la dernière page. On ne choisit pas de finir un roman. On arrive à sa fin. L'histoire a été si bonne qu'on n'a pas vu les pages passer. La tristesse vous prend, de fermer la dernière page. Mais le bonheur vous saisit, aussi. De l'avoir lu. De savoir avec certitude qu'en vous vous en portez maintenant la trace. Sur la table, ce livre retourné, et en vous, un peu de sa beauté. Sans y mettre les mots, vous l'avez avalé.

En nous aussi, ceux qui l'ont partagé. Ceux avec qui, ensemble, on écrira la suite. Ici, ailleurs, demain ou dans dix ans.

Rendez-vous au prochain blog.

2 commentaires:

Olivier a dit…

Bon retour en Europe. On met un bon moment avant de reprendre ses marques, mais ça revient vite.

J'espère que le blogue ne fermera pas.

Bonnes fêtes !

Anonyme a dit…

Que de belles réflexions! Très beau.

Louis