vendredi 23 juillet 2010

Vancouver

"Et en suivant la voie ferrée, ils finirent par arriver à l'Ouest"; ça pourrait finir ou commencer comme ça, et ça pourrait être un roman.

Si c'était à pied ou à cheval, ce serait autour de 1850, pendant la ruée vers l'or. Nous nous installerions, avides de pépites, quelque part autour de "Hope", petite ville à l'Ouest des Rocheuses initialement habitée par des Améridiens, petit bijou encastré dans les montagnes, sur la rivière, à deux heures à l'Est de l'actuelle ville de Vancouver. Rendez-vous aujourd'hui des back-packers en tout genre, qui profitent de la pause du bus Greyhound pour faire leur lessive, aller sur Internet ou magasiner quelques souvenirs dans les magasins de perles, chez le sculpteur de bois du coin ou chez les marchands de cartes postales.

Si c'était en train, ça serait quelque part autour de 1885, à la date où la Colombie Britannique, à l'Ouest du pays, a rejoint le reste de la Confédération Canadienne grâce à la finalisation de la voie ferrée du "Canadien Pacifique". "Sans train, pas de confédération", auraient dit les responsables de BC. Qu'à cela ne tienne, les hommes ont traversé, en cinq ans seulement, l'immensité, l'altitude, les roches, les avalanches et les animaux sauvages des Rocheuses, qui culminent à quelques 4000 mètres d'altitude entre Calgary et Vancouver. À coups de pioches et de piolets, en construisant 300m par jour, dans des camps temporaires le long de la voie. Si c'était en 1885, nous aurions voyagé sous l'incitation du gouvernement et de la compagnie de chemin de fer, qui nous auraient proposé d'acheter des terres cultivables en Alberta ou de nous installer près de la côte pour commencer une nouvelle vie. Ce serait au détriment des Améridiens chassés de leur terre, mais aussi des milliers de Chinois morts de maladie, de malnutrition et d'accidents en construisant la voie ferrée, main d'oeuvre bon marché traitée comme des sous-hommes dans un Canada qui croyait encore au concept de "race". Plus de train aujourd'hui, ou presque, sauf pour les marchandises... Les voitures ont enfoui sous les branchages les restes de cet exploit historique du chemin de fer canadien, dont restent surtout quelques souvenirs, exposés au musée de Revelstoke, qu'il ne faut manquer sous aucun pretexte, dans cette petite ville de montagne à la sortie des Rocheuses en allant vers Vancouver par la 1.

En voiture, ça pourrait être dès 1954. C'est à cette période que Hope a été rejoint par l'autoroute. Les camions de marchandises ont commencé à compléter les trains, qui jusque là étaient les seuls à transporter nourriture, bois, et toute autre marchandise, d'un bout à l'autre du pays. La route 1 est maintenant parsemée de centaines et de centaines de camions qui n'en finissent pas; des camions à double, tripple ou quadruple chargement; des camions qui roulent pour la plupart aussi vite que les voitures (120km /h en moyenne quand la limite est à 100) dans des montées et des descentes vertigineuses à plus de 40% de dénivelée. Ici, on ne freine pas, sous peine de se faire rentrer dedans par derrière! On apprend à gérer le poids de son véhicule et à prendre les virages sans chavirer sur le côté (ce qui arrive quand même parfois, preuve hier un camion entièrement retourné sur le toît!); on se croierait dans Mario Kart... En plus dangereux....

En van, comme on fait, ça ressemblerait presque aux années 1960-70. L'époque des Hippies, des gens qui traversent tout le continent en nomades juste pour "voir ce que ça fait". À Hope, hier, rencontre justement avec Betty (sans rire, elle avait le même nom que notre van!), une commercante qui se rappelle cette époque avec nostalgie. Les cheveux longs, les Beattles, les drapeaux multicolores. Et l'insouciance, l'impression que tout est possible, la liberté. Quant à elle, elle dit qu'elle ne le ferait plus. Que l'époque a changé, que c'est devenu plus dangereux. Peut-être... Mais peut-être pas. Après tout c'est cette même liberté à laquelle nous gouttons aujourd'hui pendant ce voyage à travers l'Amérique du Nord. Celle de décider au dernier instant où nous allons dormir, de se demander le matin ce que nous ferons pendant la journée. Plus on avance vers l'Ouest, plus on croise d'autres "post-hippies" comme nous sur la route. Hier, dans les embouteillages de la banlieue de Vancouver, un van avec quatre gars autour de la trentaine, moustaches de Beattles et cigarettes au bec. Un peu plus loin, deux jeunes dans une voiture venant de l'Ontario traînent un U-Haul. Lui a les cheveux longs, elle des dreadlocks et les pieds nus sur le pare-brise en avant.

Quoi de différent entre les hippies des années 1960-70 et les back-packers d'aujourd'hui? Le nombre, sans doute. De notre côté de la route, nous n'avons pas rencontré un seul auto-stopper sur les 5 000 km de la traversée. De l'autre côté, nous en avons vu moins de dix. Les vans, nous ne les voyons que depuis quelques centaines de km. Et puis surtout... Ceux que nous voyons pour la plupart sont extrèmement (trop) bien équipés! Le confort de 2010, avec ses Tim Horton (encore!!) à tous les coins de rue qui tolèrent la présence de véhicules sur leur stationnement pendant la nuit, enlève un peu du charme des voyages des premiers pionniers et de leurs successeurs. En cherchant bien, ceci dit, on trouve des traces ça et là de cette histoire qui devient presque légende. Qui dit que l'Amérique du Nord n'a pas d'histoire? Récente, certes, l'histoire de ce continent et celle de ce pays est pourtant bien réelle, mélant, comme pour nous autres Européens, les moments de fierté et de gloire, à des histoires d'extermination, de maltraitance ou de déportation...

L'histoire s'efface, donc, petit à petit, sous les chaines de Tim Horton, les stations essence, les nouveaux building qui remplacent les anciens (pas de loi d'urbanisme ici!). Mais ce qui reste vaut tout les détours. Des paysages à l'infini qui coupent le souffle toutes les centaines de km, des animaux sauvages tels qu'on n'en rêverait même pas en Europe, proches, si proches des hommes. Voilà tout le paradoxe du confort moderne: il donne plus de place et de puissance à la nature. Les hommes s'enferment eux mêmes dans leurs condos ou leurs motels, se désintéressent des grands espaces, et laissent ainsi aux plantes le temps de repousser, aux animaux le temps de repeupler. Dans les plaines qui s'étendent sans fin de Winnipeg à Calgary autour de la ligne droite de la route 1, des milliers et des milliers de chiens de prairie sautillent au bord de la route. À peine sortis de l'autoroute pour s'engager dans l'un des rares sentiers non gondronnés qui la bordent, on aperçoit les petites bêtes qui se jettent presque sous les roues du véhicule tellement elles ont l'habitude d'être seules et ne prennent pas conscience du danger. Sur la même route, un groupe de cerfs de virginie et de biches sont à quelques mètres d'une route secondaire, près de l'entrée d'un camping. Partout des papillons, qu'on ne voit presque plus en Europe, et des papillons de nuit dont certains, blancs, sont magnifiques. En voiture, nous pleurons presque devant les centaines de libbellules qui viennent s'écraser sur notre pare-brise à 120km /h. Nous pleurons moins, par contre, sur les moustiques, qui maculent bientôt l'avant de la van et le pare-brise d'une fine couche noiratre. On prend l'habitude de s'arrêter vers 17h pour souper, puis de remonter en voiture juste avant la nuit, de rouler encore quelques centaines de km pour trouver un coin ou dormir, mais cette fois sans plus ouvrir aucune fenêtre.

Après les plaines, c'est l'arrivée dans les Rocheuses. À Calgary, à la sortie de la ville, elles se dessinent au loin, immenses, à gauche et à droite, sur toute la ligne de l'horizon, aussi loin que les yeux puissent voir. Nous sommes dans l'orage, mais là bas il fait beau, au dessus des nuages. À 50 ou 100km devant nous, on voit le soleil qui perce dans les nuages et qui éclairent les monts enneigés. On nous avait dit que ça coupait le souffle; c'est le mot. Puis c'est la montée. L'étonnante autoroute qui traversent les montagnes sur 6 voies. Les arbres et les roches défoncées par la dynamite. Les éternels travaux pour agrandir et entrenir la "transcanadienne". Et les touristes, partout. Jusqu'au lac Louise, haut lieu touristique depuis l'arrivée du train dans la région, on voit des cars de toutes les nationalités du monde. Et pourtant... Pourtant... La nature, encore une fois, prend le dessus. À l'arrivée, devant le lac vert turquoise à 1500m d'altitude, averse de grèle, pendant que nous marchons. Et puis surtout, des panneaux partout: attention aux Grizzlis. C'est l'endroit du monde ou la densité de Grizzlis et d'hommes dans un même endroit est la plus élevée. Nico n'y croit pas trop, ou du moins n'a pas peur. Quant à moi je sors ma clochette à ours et je fais du bruit, autant que possible, comme conseillé. Les barrières électrifiées du camping n'ont rien fait pour me rassurer, encore moins que les dépliants donnant des conseils en cas de rencontres avec un ours. Déterminer si l'attaque est défensive ou prédatrice (ok, mais c'est pas évident à savoir!). Si elle est défensive, faites le mort. Si elle dure plus de 2mn, elle est sans doute prédatrice, alors battez vous! Contre un ours de plusieurs centaines de kg, ça promet...

Et finalement, nous verrons notre ours... Nico en rêvait, je le redoutais. Nous avons tous les deux eu de la chance. La chance de rencontrer deux Québécois, Cindy et Martin, avec qui nous prenons le sentier du lac Morraine devant les panneaux "il est recommandé de marcher en groupe de quatre personnes" (à cause des ours, oui oui...). La chance que nous nous entendions tellement bien que nous ferons toute la marche ensemble, pendant presque 3h. Et la chance que Martin ait de tellement bons yeux et passe tellement de temps à scruter les montagnes à la recherche des chèvres sauvages qu'il voit, sur le versant de l'autre côté de la vallée, une maman grizzli et ses deux petits, à moins d'un km de distance, mais assez loin tout de même pour ne pas être une menace immédiate. Voilà qui risque de ne pas nous arriver tous les jours.... On se quitte après un café, forts de cette expérience commune, munis de belles photos qu'on s'enverra par emails, et affublée quant à moi de l'habituel surnom de "fée clochette" qui cette fois me va plutôt bien vu la clochette que j'ai au bout de mon bras pendant toute la balade!

Après ça, c'est la lente descente vers Vancouver. Après le rush du début du voyage et les 5 000km de route en 8 jours, on a enfin l'impression de prendre notre temps, d'être en vacances. De faire des rencontres. Betty, dont je parlais plus haut, nous vend la mascotte qui nous manquait pour notre van: une Betty Boop - Hippy de 5cm en plastique que nous accrochons au rétroviseur. Peet, le sculpteur de bois, nous montre ses créations dans les poussières de bois et la fumée de cigarette de son établi à l'abri des montagnes. Puis, à Vancouver, Julia, l'amie d'Emily, nous accueille, nous offre sa douche (youpi!), et nous emmène dans un bon bar boire de la bonne bière. On remet ça ce soir après la plage et le centre ville ! Prochaine destination samedi ou dimanche, Portland, pour voir Ron et Jayne F. Puis la Californie, le mariage, les amis de Nico, quelques Grinders sans doute, les enfants de Wellyn, et encore la nature, la plage, la traversée des Rocheuses dans l'autre sens, le Grand Canyon.... À suivre....








3 commentaires:

Anonyme a dit…

mais ou est la photo de Betty Boop accrochee au retroviseur???

Unknown a dit…

Merci ! très agréâble à lire :)

Oui on veut voir betty Boop !

Pascale a dit…

Salut Gwen et Nico! Vous avez l'air d'aller bien! Je suis heureuse de le constater.
Tu écris très bien Gwen. J'aime bien lire vos avantures. Sacré Canada n'est-ce pas? Rempli de surprises...et d'ours. Tous ces territoires, tous ces paysages... On croit être dans un autre pays lorsqu'on sort du Québec. C'est difficile à croire qu'on est chez nous en voyant de tels paysages si différents de ceux qu'on voit ici. Amuser vous bien! Et que votre joli voyage continu. :) xxx Pascale